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vendredi 21 avril 2017

[Interview]Sophie Martin

Bonjour à tous, j'ai été contacté il y a peu, non pas par un auteur mais par la traductrice du livre en question, c'était la première fois. J'ai trouvé sa présentation très complète et elle m'a donné envie d'en savoir plus alors je lui ai demandé si elle acceptait de répondre à quelques questions. En voici le résultat. J'ai été particulièrement bluffée par la qualité des réponses.

Voici les questions que j'ai donné comme base à Sophie Martin, traductrice du roman Toucher le ciel de Manhattan :
 
Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ? Dire quelques mots sur vous ? Pouvez-vous expliquer en quoi consiste votre travail de traductrice ? Quelles langues traduisez-vous ? Qu’est-ce qui est le plus difficile à faire ? Qu’est-ce qui vous plait dans ce métier de traductrice ? Parlez-nous du dernier livre que vous avez traduit, Toucher le ciel de Manhattan.

Et voici les réponses de Sophie Martin :

Traduttore, traditore, chante l’expression italienne bien connue. Traduire, c’est trahir…

Bonjour, je m’appelle Sophie et voilà plus de vingt ans que je me consacre à la trahison. À l’adage qui nous accuse, même si joliment, je préfère de loin les mots d’Umberto Eco : Dire quasi la stessa cosa ou Dire presque la même chose en français, un essai sur ses expériences en tant que traducteur… et traduit lui-même !

Zélie m’a demandé de parler de moi. C’est là chose fort difficile : le traducteur cligne des yeux à la lumière ; c’est l’écrivain de l’ombre ; c’est le vent invisible qui, porteur de parfums inconnus, déplace les dunes pour recréer un autre paysage, le même et néanmoins différent ; aux plumes dont naissent des mots en espagnol ou en catalan, j’offre l’opportunité d’écrire aux couleurs du français. C’est aussi simple que cela, et pourtant ce n’est pas toujours facile.

Ce qui est le plus difficile ? Décider à qui être fidèle, ou à quoi ? La traductrice est une ballerine, qui de ses pointes de satin rose doit redessiner fidèlement les pas du chorégraphe, suivre parfaitement la musique, s’accoupler idéalement à son partenaire, transmettre ses émotions au public, sans perdre une seconde son gracieux sourire qui fait croire que tout coule de source.

À tout instant le traducteur doit faire des choix, des compromis, il doit peser le pour, le contre, négocier, marchander avec lui-même, esquiver, contourner, berner, sacrifier parfois.

Certains ouvrages ont une identité très forte, des références très précises ou des effets de texte impossible à traduire (les jeux de mots en seraient un bon exemple) ; il faut alors faire preuve de créativité pour faire un véritable travail d’adaptation tout en restant fidèle à l’œuvre originale.

Oui, il arrive que ce soit difficile, mais c’est toujours passionnant, et généralement très amusant.

Au contraire de mon travail pour des textes spécialisés (articles, chroniques, communication, etc.) ou des ouvrages « sérieux » (j’ai traduit de nombreux essais) – pour lesquels je fais un travail de documentation en amont –, quand je dois traduire un roman, je ne le lis jamais avant. Jamais. Ce qui m’a d’ailleurs parfois apporté de fort mauvaises surprises, mais je n’en ai pas changé de méthode pour autant : j’aime que mon premier jet soit le ressenti de la lectrice.

Une lectrice qui écrit en même temps qu’elle découvre, comme qui lirait à voix haute, en faisant passer tout à la fois ses propres émotions et le style de l’auteur, car il ne faut jamais oublier que, citant le grand traducteur Albert Bensoussan  :  Le traducteur n’a pas pour vocation à faire entendre sa propre voix. Il doit parler comme son auteur, il doit mettre ses pas dans ses pas, enfiler sa vieille robe de chambre, chausser ses pantoufles, épier ses tics, guetter ses gestes, et restituer, à la façon d’une doublure de théâtre, sa silhouette et les inflexions de sa voix. [Les Confessions d’un traître].

C’est là qu’entre en jeu un aspect à mon avis essentiel de mon travail : la communication avec l’auteur ; pouvoir lui demander de préciser une nuance, lui suggérer des adaptations, lui offrir plusieurs alternatives, soumettre à son choix l’indispensable changement de rythme d’une phrase… en somme, lui permettre de faire de cette version française davantage la sienne… Et pourtant, nombreux sont ceux qui semblent considérer leur traductrice comme une espèce hybride née d’improbables amours entre Merlin l’enchanteur et la pythonisse de Delphes.

Mais Andrea, l’auteure de mon dernier travail, Toucher le ciel de Manhattan, n’entre décidément pas dans cette catégorie ! Enthousiaste, disponible, toujours prête à répondre à mes questions stupides (euh, le soupir, là, il est plutôt genre « je fais un gros effort pour ne pas grincer des dents » ou « bon, dommage, mais c’était sûr »…) ou à peaufiner ensemble différentes versions d’un passage dont je n’arrivais pas à être satisfaite.

J’ai eu le sentiment que nous formions vraiment une équipe, et ça a été un véritable plaisir de travailler dans ces conditions. Et je crois bien que le plaisir a été mutuel : de fait, si Toucher le ciel de Manhattan reçoit un bon accueil du public francophone, je commencerais très bientôt à travailler à son deuxième roman, Los Secretos de un recuerdo.

Et puis, je dois reconnaître que je me suis vraiment attachée à Peter et Angela, les protagonistes de Toucher le ciel de Manhattan.


 

Même si au tout premier abord je ne les ai pas trouvés particulièrement sympathiques, cet espèce de petit coq ibérique et cette glaciale et richissime amazone, dès que l’on en écaille le vernis d’un ongle léger, leurs personnalités profondes se font jour, et les apparences sont décidément bien trompeuses.

J’ai aimé découvrir les fêlures sous l’acier, le roc sous les plumes du paon, j’ai essayé de transmettre les émotions, de faire passer leurs doutes et leurs espoirs, l’amertume ou le renoncement…

Et puis ce voyage imprévu qui nous emporte dans un monde si différent, dont la rude réalité est si éloignée des brillances de Manhattan, où soudain les masques tombent pour faire place à la vérité, celle des âmes mises à nu.

C’est un livre que j’ai eu beaucoup de bonheur à traduire. Tout en écrivant, j’ai eu des éclats de rire ou les larmes aux yeux. C’est assez rare pour être mentionné.

Je n’ai qu’un regret : qu’il n’ait pas été plus long.

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J'espère que cette interview vous a plu ? Que vous avez pu découvrir le métier de traductrice ? Si vous avez des questions pour Sophie Martin, je serais ravie de lui transmettre. 
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-Zélie-

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